C'est le dossier du Magazine littéraire de juillet-août 2007
Extrait de l'article signé Pierre-Marc de Blasi: La bêtise: sus à l'ennemi
"Vertige du multiple. Si la bêtise nous paraît omniprésente, c'est parce qu'elle coïncide avec ce qui nous constitue comme êtres de pensée et nous permet de communiquer les uns avec les autres : la bêtise est coextensive à ce langage par lequel nous imaginons exprimer librementnotre point de vue et dont nous sommes en réalité le jouet. C'est au moment même où nous croyons en maîtriser les moyens qu'il inocule lé plus sûrement en nous sa vermine, ce pullulement ignoble de lieuxcommuns, d'idioties, de difformités morales et d'injustices qui s'appellent l'insanité triomphante, la stupidité satisfaite d'elle-même. Jusqu'ici, l'art permettait de faire front: c'était même dans cette mission que résidait toute l'éthique de l'art. Mais Flaubert a le pressentiment que la bêtise, génétiquement attachée à l'humanité depuis les origines, vient d'entrer dans une phase de nuisance sans précédent: le microbe de la connerie était là, c'est certain, mais quelque chose vient de le faire muter et il commence à proliférer dans des proportions vertigineuses. Ce qui l'a réveillé, c'est la révolution technique de la modernité, la capacité de l'ineptie à se doter désormais d'une puissance industrielle à se multiplier: rotative, presse à grand tirage, héliogravure, photographie, publicité, best-sellers. Tout est en place pour accroître à l'infini les pouvoirs de la bêtise active qui tue, d'une « culture » faisant du cliché son objet d'excellence: l'art industriel (notre industrie culturelle) qui lobotomise les masses, qui abrutit à grande échelle, la bêtise triomphante d'Homais qui vise la prise de pouvoir politique, le formatage intégral des mentalités aux normes de l'idée reçue. Écoutez bien ce que Flaubert disait à George Sand en 1870: « Nous allons entrer dans une ère stupide. On sera utilitaire, militaire, américain et catholique. » Et ce qu'il disait quatre ans plus tard à Tourgueniev: «Ce qui va occuper le premier plan, pendant peut-être deux ou trois siècles, est à faire vomir un homme de goût. Il est temps de disparaître. » Un siècle plus tard, And Warhol ajoutait: « Il y aura une époque, où chacun pourra dire ce qu'il pense, et en toute liberté car alors tout le monde pensera la même chose. » Et aujourd'hui?"
"Flaubert : sus à l'ennemi"
par Pierre-Marc de Blasi Magazine Littéraire juillet -août 2007
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