(un texte lumineux, mais quelque peu rabat-joie...?)
"Dans le sport convergent en effet tous les traits de l'époque, ainsi que l'esprit, avec ses aspects idéologiques, qui l'anime. Le sport n'est pas marginal, il est central, planté au coeur du monde contemporain - pour preuve : la mondialisation marchande est préparée et favorisée par la mondialisation sportive ; les rencontres sportives internationales, la Coupe du monde de football, celle de rugby, les championnats mondiaux de chaque sport, ont peu à peu, depuis plus d'un demi-siècle, formé les esprits à trouver naturelle la mondialisation. Loin de se limiter au rôle de simple reflet, comme le croient les observateurs superficiels, comme le suggère également le concept marxiste de « superstructure », le sport - à l'instar de tous les phénomènes culturels - est plutôt une sorte de matrice appelée à engendrer l'époque elle-même.Le sport ne cesse de dicter à nos contemporains, depuis sa pratique et son spectacle, à travers son commentaire, de multiples exigences. Par exemple : sans la permanence planétaire du spectacle sportif, l'exigence de performance n'aurait pas pu s'imposer dans tous les domaines de l'existence. De même, la croyance dans la valeur de la compétition s'est imposée aux hommes via le sport - après cinq décennies de spectacle sportif à haute dose, la plupart des humains sont persuadés, à tort ou à raison, que la compétition est, dans tous les domaines de l'existence, la condition du progrès. Plus : à y regarder de près, il semble que la performance soit devenue le Bien Suprême, le Bien vers lequel tous les autres biens doivent converger et auquel tous les autres doivent concourir. Un bien n'est un bien qu'à la condition qu'il favorise la performance, le Bien au-dessus de tous les autres. Être performant à son tour est devenu la vertu des vertus[...] En Occident, la charnière structurant le pouvoir, et, audelà, la vie politique, a longtemps été le théologico-politique. L'ordre politique était accroché à l'ordre théologique, dans un rapport de tension. La politique se fondait dans la théologie ; elle ne se légitimait qu'en prétendant réaliser des buts théologiques. La légitimité du pouvoir était divine et apolitique internationale conduite par les États s'adossait, elle aussi, à la religion, ou à ses interprétations[...]
La politique se définit par la poursuite de la puissance - la puissance étant la réalité accroissant la liberté d' action, condition de l'indépendance et de la sécurité. Le théologique intervenait, autrefois, pour limiter la puissance. Rome et le Ciel possédaient le statut de bornes. Le roi de droit divin était limité par Dieu. Le sport, dans la politique contemporaine, joue un rôle inverse : non limiter, mais accroître la puissance en impressionnant les esprits. Grandes et petites nations jouent ce jeu. Rien de plus important, aux yeux de la diplomatie chinoise, que de passer pour une grande puissance sportive, et si possible doubler les États-Unis dans ce domaine ! Le front de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS passait par le sport. Ne croyons pas qu'avec l'extinction de l'URSS, maintenant que le système capitaliste ne connaît plus de rival, l'enjeu du sport en termes de puissanceait disparu. Les États savent bien que le sport est la clef de l'imaginaire de l'homme contemporain. Le sport est utilisé pour accroître la puissance imaginaire d'un État. On le sait depuis Le Prince de Machiavel : en politique, l'imaginaire induit des effets de réalité. Pour les petites nations à la puissance politique limitée ou inexistante, le sport est un ersatz de politique internationale. Il peut servir à masquer le fait que cet État n'a aucune indépendance, donner l'illusion de l'indépendance, dissimuler la servitude diplomatique - dans ce jeu de masques résidait la fonction du sport en RDA. À travers le sport, de petites nations essaient de se montrer au monde plus grandes et plus puissantes qu'elles ne le sont en réalité ; ersatz et mirage de puissance, le sport est aussi dans cette optique une ivresse de soi. Plutôt que « l'opium du peuple » dont parlent certains, le sport est avant tout « l'opium des États »
Le sport est-il inhumain? Editions Panama, pp 83-86
La politique se définit par la poursuite de la puissance - la puissance étant la réalité accroissant la liberté d' action, condition de l'indépendance et de la sécurité. Le théologique intervenait, autrefois, pour limiter la puissance. Rome et le Ciel possédaient le statut de bornes. Le roi de droit divin était limité par Dieu. Le sport, dans la politique contemporaine, joue un rôle inverse : non limiter, mais accroître la puissance en impressionnant les esprits. Grandes et petites nations jouent ce jeu. Rien de plus important, aux yeux de la diplomatie chinoise, que de passer pour une grande puissance sportive, et si possible doubler les États-Unis dans ce domaine ! Le front de la guerre froide entre les États-Unis et l'URSS passait par le sport. Ne croyons pas qu'avec l'extinction de l'URSS, maintenant que le système capitaliste ne connaît plus de rival, l'enjeu du sport en termes de puissanceait disparu. Les États savent bien que le sport est la clef de l'imaginaire de l'homme contemporain. Le sport est utilisé pour accroître la puissance imaginaire d'un État. On le sait depuis Le Prince de Machiavel : en politique, l'imaginaire induit des effets de réalité. Pour les petites nations à la puissance politique limitée ou inexistante, le sport est un ersatz de politique internationale. Il peut servir à masquer le fait que cet État n'a aucune indépendance, donner l'illusion de l'indépendance, dissimuler la servitude diplomatique - dans ce jeu de masques résidait la fonction du sport en RDA. À travers le sport, de petites nations essaient de se montrer au monde plus grandes et plus puissantes qu'elles ne le sont en réalité ; ersatz et mirage de puissance, le sport est aussi dans cette optique une ivresse de soi. Plutôt que « l'opium du peuple » dont parlent certains, le sport est avant tout « l'opium des États »
Le sport est-il inhumain? Editions Panama, pp 83-86
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