samedi 23 août 2008

L'animal dénué de raison


Pourquoi les hommes s'entretuent-ils?
Pour Mark Twain, ce sont les croyances religieuses qu'il faut incriminer.
Du fait de sa violence sans frein, liée à son penchant au fanatisme, l'homme est à ses yeux "L'animal en bas de l'échelle"


"L'homme est l'animal religieux. Le seul. Et le seul qui détienne la Vraie Religion - il y en a un certain nombre. Il est le seul animal qui aime son prochain comme lui-même et lui coupe la gorge si sa théologie n'est pas dans la ligne. Il a transformé le globe terrestre en cimetière à force de s'évertuer à aplanir pour ses frères la route du Ciel et du bonheur éternel. Il s'y est employé sous les Césars, à l'époque de Mahomet, sous l'inquisition, en France pendant quelque deux siècles, en Angleterre au temps de Marie; il n'a cessé d'y consacrer ses soins depuis que ses yeux se sont ouverts à la lumière, il s'en occupe aujourd'hui même en Crète ; il s'y appliquera demain, en quelque autre région de la planète. Les animaux supérieurs n'ont pas de religion. Et l'on nous dit qu'on les laissera à la porte, dans l'au-delà. Je me demande bien pourquoi. L'idée me paraît saugrenue.L'homme est l'animal doué de raison. C'est ce qu'on dit, mais c'est discutable. En fait mes expériences m'ont prouvé que l'homme est l'animal dénué de raison. Jetez un regard sur
l'esquisse de son histoire que je vous ai proposée. Il me paraît évident qu'il est tout sauf un animal raisonnable. C'est un fou dangereux, avec un casier de criminel lourdement chargé.
Et j'estime que l'argument le plus convaincant contre « l'intelligence » de l'homme, c'est qu'avec un pareil dossier à son actif il se proclame l'animal numéro un de toute la troupe - alors qu'il est bon dernier, si on le juge àson propre canon.En vérité l'homme est d'une incurable stupidité. Il est incapable d'apprendre les choses simples, que les autres animaux apprennent si aisément.
Je me livrai un jour à l'expérience que voici : en une heure je fis d'un chien et d'un chat une paire d'amis. Je les plaçai dans la même cage. J'y mis ensuite un lapin et en une heure encore j'appris à mes deux prisonniers à fraterniser avec lui. Dans les deux jours qui suivirent, je fus en mesure 'ajouter un renard, une oie, un écureuil et quelques colombes. Et un singe pour finir. Ils habitèrent en paix et se prirent même d'affection.Dans une autre cage, j'enfermai un catholique irlandais de Tipperary et dès qu'il me parut un peu carné, je lui adjoignis un presbytérien écossais d'Aberdeen. Puis un Turc de Constantinople, un chrétien orthodoxe de Crète ; un Arménien, un méthodiste des déserts de l'Arkansas ; un bouddhiste chinois, un brahmane de Bénarès. Et pour finir un colonel de l'Armée du Salut de Wapping. Puis je quittai les lieux pendant quarante-huit heures. Quand je revins pour constater les résultats, tout allait au mieux dans la cage desanimaux supérieurs, mais l'autre n'était qu'un tas informe de lambeaux nsanglantés, de turbans et de fez, de plaids, d'os et de chair - et tous mes spécimens avaient perdu la vie.
Les animaux doués de raison, n'étant pas d'accord sur quelque petit point de théologie, avaient porté l'affaire devantune juridiction supérieure. On est bien forcé d'admettre qu'en matière 'élévation morale, l'homme ne peut prétendre se hausser au niveau du plus vil des animaux. Une incapacité fondamentale le lui interdit et le lui interdira toujours - une tare congénitale, permanente, invétérée, inextirpable".
L'animal au bas de l'échelle (1890)

Aucun commentaire: