Ce n'est pas l'amour qui est jaloux, mais la jalousie qui est l'essence de l' amour:
« Entre vos mains mêmes, ces êtres-là sont des êtres de fuite. Pour comprendre les émotions qu'ils donnent et que d'autres êtres, mêmes plus beaux ne donnent pas, il faut calculer qu'ils sont non pas immobiles mais en mouvement, et ajouter à leur personne un signe correspondant à ce qu'en physique est le signe qui signifie la vitesse. (...) Le plus souvent l'amour n'a pas pour objet un corps, que si une émotion, la peur de le perdre, l'incertitude de le retrouver se fondent en lui. Or ce genre d'anxiété a une grande affinité pour les corps. Il leur ajoute une qualité qui passe la beauté même, ce qui est une des raisons pourquoi l'on voit des hommes indifférents aux femmes les plus belles en aimer passionnément certaines qui
nous semblent laides. À ces êtres-là, à ces êtres de fuite, leur nature, notre inquiétude attachent des ailes. Et même auprès de nous leur regard semble nous dire qu'ils vont s'envoler. La preuve de cette beauté, surpassant, qu'ajoutent les ailes, est que bien souvent pour nous un même être est successivement sans ailes et ailé. Que nous craignions de le perdre, nous oublions tous les autres. Sûrs de le garder nous le comparons à ces autres qu'aussitôt nous lui préférons ».
Marcel PROUST, La Prisonnière,
(1924), Garnier Flammarion, 1984, pp. 185 à 187.
« Entre vos mains mêmes, ces êtres-là sont des êtres de fuite. Pour comprendre les émotions qu'ils donnent et que d'autres êtres, mêmes plus beaux ne donnent pas, il faut calculer qu'ils sont non pas immobiles mais en mouvement, et ajouter à leur personne un signe correspondant à ce qu'en physique est le signe qui signifie la vitesse. (...) Le plus souvent l'amour n'a pas pour objet un corps, que si une émotion, la peur de le perdre, l'incertitude de le retrouver se fondent en lui. Or ce genre d'anxiété a une grande affinité pour les corps. Il leur ajoute une qualité qui passe la beauté même, ce qui est une des raisons pourquoi l'on voit des hommes indifférents aux femmes les plus belles en aimer passionnément certaines qui
nous semblent laides. À ces êtres-là, à ces êtres de fuite, leur nature, notre inquiétude attachent des ailes. Et même auprès de nous leur regard semble nous dire qu'ils vont s'envoler. La preuve de cette beauté, surpassant, qu'ajoutent les ailes, est que bien souvent pour nous un même être est successivement sans ailes et ailé. Que nous craignions de le perdre, nous oublions tous les autres. Sûrs de le garder nous le comparons à ces autres qu'aussitôt nous lui préférons ».
Marcel PROUST, La Prisonnière,
(1924), Garnier Flammarion, 1984, pp. 185 à 187.
Image : E. Munch, Séparation
1 commentaire:
La fin du texte me fait penser à ces autres mots de Proust dans Sodome et Gomorrhe : 'Les charmes d'une personne sont une cause moins fréquente d'amour qu'une phrase du genre de celle-ci : Non, ce soir je ne serai pas libre...'
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