Démocratie et légitimité (La reine du monde)

Les deux légitimités

"Le vote procède d'une vision légaliste de la politique. Il a perdu son monopole, mais il n'a pas perdu sa légitimité. Elle est la condition de la démocratie, qui est refus de l'arbitraire. L'opinion, elle, relève d'une vision sociologique des choses : elle n'a pas de légitimité en soi ; elle est un état de fait avec lequel il serait dangereux de ne pas compter. Quant à « la rue », elle exprime une vision dynamique des choses et entérine un rapport de forces plutôt qu'une situation de droit. C'est pourquoi elle autorise toutes lesdérives violentes, prompte à confondre la force spontanée avec une forme de légitimité prétendument supérieure à la loi. C'est pourquoi elle est le terrain commun à l'ultradémocratisme et au fascisme à l'état brut. La rue, comme expression d'une opinion forte mais pas nécessairement majoritaire, peut en démocratie précéder l'expression du suffrage et de la loi, à qui doit appartenir le dernier mot. Dans le cas contraire, si elle suit le suffrage et vise à le corriger, elle est nécessairement factieuse. Ce recours à l'action factieuse, quand l'opinion puis le suffrage vous ont donné tort, constitue aujourd'hui la tentation majeure de l'extrême gauche, quand bien même elle invoque des motivations sociales, et même justicialistes.Au total, il existe donc trois instances d'expression de la volonté populaire : le suffrage, l'opinion, la rue. Le suffrage a pour lui l'universalité ; l'opinion la permanence ; la « rue » l'intensité. L'opinion occupe une position moyenne. À la différence du suffrage, elle n'a aucune autorité légale ; c'est un pouvoir de fait, comme la rue. En revanche, la règle de la majorité s'y exerce, 'et de ce point de vue elle rejoint le suffrage. Comme lui, elle exclut toute violence, ce qui n'est pas toujours le cas de la rue" Jacques Julliard, La reine du monde

(Sur la notion de " politique factieuse", voir le chapitre "Y a -t-il des pensées dangereuses dans mon "Cours particulier de philosophie")