dimanche 6 janvier 2008

De la pitié (Elizabeth de Fontenay)


« Si j'étais homme, pourrait gémir l'animal qui souffre, et auquel certains ont su -parce qu'encore une fois ils étaient peintres, sculpteurs,écrivains et musiciens -prêter leur voix, j'aurais pitié du coeur des bêtes. La compassion se présenterait dès lors comme le mouvement d'un être d'autant plus transcendant qu'il se montrerait capable de conférer de la transcendance à des êtres communément tenus pour insignifiants. Il n'y a pas de pitié sans considération et reconnaissance de l'abîme transcendant qu'est la détresse de l'infans, de cet innocent qui n'aura jamais le langage omme en témoignerait Shakespeare:

« Et près de là gisait, blessé par un chasseur,

Un pauvre cerf perdu tout près de l'agonie.

Le malheureux poussait des clameurs si profondes

Que sa robe de cuir tendait à crever

Et qu'on voyait couler ses grosses larmes rondes

Se pourchassant le long de son innocent museau »

Comme il vous plaira (1599), Acte IV, scène 3


Elizabeth de Fontenay, Le silence des bêtes, p 527


(infans: celui qui ne parle pas)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui, la souffrance des animaux a quelque choses de glaçant. Ils sont comme enfermés dans l'horreur absolue, privés d'un langage qui leur permettrait de se représenter ce qui leur arrive..Ils ne peuvent se dire que c'est juste un mauvais moment à passer, ils sont complètement prisonniers du présent.
Et puis la plupart des animaux ont des sens bien plus développés que les nôtres. La douleur purement physique étant d'abord sensorielle, peut-être la ressentent-ils bien plus intensément que nous ? A vrai dire on n'en sait pas grand chose.

Je mets ici un texte très beau d'Henry Betson, extrait de The Outermost House (1925). Je n'ai pas trouvé de belle traduction, j'en ai arrangé une mais l'original est bien plus beau. Je le mets quand même dans les 2 langues :

"We need another and a wiser and perhaps a more mystical concept of animals. Remote from universal nature, and living by complicated artifice, man in civilization surveys the creature through the glass of his knowledge and sees
thereby a feather magnified and the whole image in distortion. We patronize them for their incompleteness, for their tragic fate of having taken form so far
below ourselves. And therein we err, and greatly err. For the animal shall not be measured by man. In a world older and more complete than ours they move
finished and complete, gifted with extensions of the senses we have lost or never attained, living by voices we shall never hear. They are not brethren, they are not underlings: they are other nations, caught with ourselves in the net of life and time, fellow prisoners of the splendour and travail of the earth."

"Nous avons besoin d’un autre concept plus sage, et peut-être plus mystique des animaux. Éloigné de la Nature universelle et vivant dans de complexes artifices, l’homme civilisé observe les créatures à travers le prisme de son savoir. Il voit ainsi une plume agrandie et toute l’image est déformée. Nous les traitons avec condescendance pour leur incomplétude, pour leur tragique destin d’avoir pris forme tellement en dessous de nous. Et en ceci nous nous trompons, nous nous trompons grandement. Car l’homme n’a pas à juger l’animal. Dans un monde plus vieux et plus complet que le nôtre, ils évoluent dans leur forme achevée, dotés d’extensions des sens que nous avons perdues ou jamais atteintes, animés par des voix que nous n’entendrons jamais. Ils ne sont pas frères ; ils ne sont pas subalternes ; ils sont d’autres nations, prises avec nous dans le filet de la vie et du temps, compagnons prisonniers de la splendeur et des tourments de la Terre."

Lhansen-Love a dit…

Merci Nicolas...