samedi 19 janvier 2008

L'instituteur peut-il remplacer le prêtre?


Bien sûr, les propos de Nicolas Sarkozy suscitent un tollé, et c'est normal.( "Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur et le curé, parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance" a-t-il dit).


Toutefois, essayons d'apprécier ces propos en dehors de toute polémique partisane...
On peut reformuler la question: la morale (laïque , ou agnostique) peut-il se suffire à elle-même?

C'était l'un des sujets du débat Julliard/Ferry ce matin.
L'un et l'autre s'accordaient sur le fait que la morale a besoin d'autre chose en plus (transcendance , spiritualité????)

Pour ce qui me concerne, j'aurais tendance à pensert en effet que l'instituteur (hommage lui soit rendu!) ne peut "remplacer" le prêtre et que le propos de Sarkozy est certes péremptoire et déplacé, mais plutôt ..vrai!
Parce que nous avons besoin de convictions, et l'intituteur ne nous en fournit pas.. A la limite l'instituteur , ou le prof ne SAIT pas ce qui est bien ou mal, car, -merci Spinoza - il n'y a plus de Bien et de Mal dans une perspective rigoureusement laïque.
Ou encore : il me semble que l' on ne peut pas si facilement se passer de religion (c'est-à-dire confier à l'Etat le soin de d'incarner le sacré, ou encore de répondre à une demande insistante de "transcendance"... ). Voir L'avenir d'une illusion de Freud...

Rémi Brague: "Que l'agir humain puisse, sans référence au divin, se déployer librement, et non pas plutôt s'échouer dans des dialectiques suicidaires, voilà ce qui reste à démontrer"


(C'était la conclusion du chapitre : la religion est-elle une nécessité sociale de mon livre "Cours particulier de philosophie")

7 commentaires:

Hans a dit…

Peut-être faudrait-il commencer par dire que l'instituteur ne "doit" pas remplacer le prêtre. Education et religion sont deux domaines absolument hétérogènes, et les confondre dans un même discours semble témoigner d'une conception du savoir assez confuse, qui l'apparenterait à une foi.Qu'en pensez-vous?

Lhansen-Love a dit…

Certes Hans...
Mais qui va transmettre l'amour des lois si les Péres sont absents ou défaillants?

Hans a dit…

Voulez-vous dire, alors qu'il y aurait un besoin de finalité que la science ou, plus généralement, le savoir ne saurait combler? Ce problème, auquel je ne me sens pas capable de répondre, me ramène à une lecture actuelle: celle du Principe Responsabilité de Hans Jonas. Pour le philosophe allemand, il y a certes un désenchantement du monde moderne (comme il le dit lui-même, il y a belle lurette que les Dieux sont partis), mais pas ue absence de finalité. L'ère moderne, qui est celle de la technologie et qui munit l'homme d'un pouvoir causale qui menace sa propre nature en même temps que celle de la nature, véhicule avec elle une idéologie utopiste basé sur le progrès. En me basant que cette idée, peut-être puis-je reformuler le problème: toute activité humaine n'est-elle pas, par elle-même, productrice de finalité? Jj'ai bien conscience que je déplace la question, mais elle m'intéresse beaucoup. Avez-vous lu Jonas?

Anonyme a dit…

"Education et religion sont deux domaines absolument hétérogènes"

Je n'en suis pas si sûr... Il y a beaucoup à apprendre des textes Sacrés, tout dépend comment ils sont appris. Et je ne dirais que les religions c'est "peace and love, youkaïdi youakaïda". La place du conflit dans le judéo-christianisme, au moins, est centrale, et c'est justement un vecteur d'apprentissage de soi. «Elle est tranchante la parole de Dieu» (Hébreux), ou encore Jésus qui annonce : «Je ne suis pas venus pour apporter la paix, mais la guerre» (Matthieu) etc. Mettre l'homme en face de lui-même, de ses choix, de ses contradictions : la lutte de Jacob avec l'ange etc.

La prière par exemple n'est pas une demande faite à Dieu du type : «donnez-moi du pain», la prière "véritable" est un acte de pensée, de dialogue avec l'esprit. En ce sens la foi n'est pas une certitude aveugle en un credo, c'est la croyance en la bonté d'une parole avec laquelle on dialogue.

Dans cette optique ce rapport à la foi fonde le respect des lois, tout en nous libérant de celles-ci si elles deviennent injustement écrasantes.

À la sortie du métro lyonnais, le jour de la Toussaint, j'entendis les clocher sonner et vit une grande partie de la population se diriger vers la fnac.

Consommation contre église. Il ne s'agit pas ici de déplorer la saignée des églises, mais de se rappeler que l'église était aussi un espace politique. Le dimanche c'était le moment ou la population devait se libérer du travail pour se réunir à l'église dans laquelle ils entendaient les règles morales fondatrices de leur politique. C'était un moment spirituel et politique.

Nous aurions pu imaginer des réunions politiques de ce genre dans notre pays laïc, c'est, je crois, tout à fait possible, nous avons préférés concentrer la population sur la consommation.

La consommation du produit du travail (cf. travail chez Arendt) qui nous amène maintenant à penser travailler 7 jours sur 7.

Du travail, du travail et moins de temps pour la pensée, moins de temps "libre", moins de temps pour la liberté et donc moins de temps pour la constitution du politique.

Dans cette situation un appel au retour du religieux dans l'espace public ne me semble pas aussi terrifiant que l'on crois. Mais venant d'un homme qui désire ouvrir le dimanche au travail, j'avoue être sceptique ...

Lhansen-Love a dit…

Oui, j'ai lu Jonas et j'ai résumé son livre dans mon Cours particulier, chapitre 16.
J'aime beaucoup!
Mais je crois qu'il faut renoncer à cette idée de "progrès" global(Hans Jonas a écrit son bouquin contre la "principe espérance")
Quant au sens qui procèderait de toute activité, ce n'est pas faux.. mais enfin, un (?) sens sans continuité, sans consensus...
Le "sens" paraît peu compatible avec l'individualisme qui caractérise notre époque, non?

Lhansen-Love a dit…

Jean-Baptiste,
Je suis d'accord avec vous sur ce point: l'appel au religieux n'est pas absurde dans un monde dévoré par la passion de la consommation et l'individualisme.
Cela dit je suis pour le travail le dimanche (pour les seuls volontaires!). Moi qui ne vais pas à la messe, et bien je travaille 7 jours sur 7. Mais pas tout le temps tous les jours..
Bref, je suis pour la liberté, pour le libéralisme, donc. Pour que l'on puisse travailler jusque à 100 ans si on peut. Sur ce point, j'approuve la commission Attali (pour déréguler, pour la fluidité, la souplesse etc..)
Je ne vois aps pourquoi on obligerait tout le monde à s'arrêter justement le dimanche!

Anonyme a dit…

"Cela dit je suis pour le travail le dimanche (pour les seuls volontaires!). Moi qui ne vais pas à la messe, et bien je travaille 7 jours sur 7. Mais pas tout le temps tous les jours.."

Oui, bien sur. Je ne pensais pas qu'il faut interdire de travailler 7 jours sur 7. En dehors de son travail "officiel" il reste toujours beaucoup de choses à faire chez soi, avec autrui, avec soi-même etc.

Ce qui me semble intéressant avec "l'église le dimanche" c'est l'invitation par l'État des citoyens à se tourner vers le politique et le spirituel.

Pour être plus clair, ce qui me pose problème avec la proposition de notre président c'est qu'elle est une ouverture vers le travail et la consommation tous les jours. Même le dimanche vous pouvez aller consommer. Et le dimanche vous pouvez également travailler. Lorsque je parlais de travail, je parlais du travail au sens de Hannah Arendt, celui qui vise à produire des produits de consommation. Je ne parlais ni de l'œuvre, ni de l'action, ni de la pensée etc.

Une telle réforme, me semble-t-il, invite les citoyens à penser que l'unique raison de leur présence sur ce territoire passe dans leur capacité à consommer, dans leur "pouvoir d'achat", cette chose qui rend si heureuse et si malheureuse.

Bien entendue tout cela n'est pas très "nouveaux", nous sommes depuis longtemps déjà des consommateurs ayant un plus ou moins fort pouvoir d'achat. Il ne s'agit pas ici de faire une critique radicale de la consommation. Ce serait ridicule, nous avons besoin de consommer. Mais la consommation ne peut pas être le tout du politique (peut-être même qu'elle ne devrait être qu'un soucis secondaire pour la politique), sinon ce dernier, me semble-t-il, s'effondre.

Une telle conception politique conduit à un affaiblissement sérieux de la compréhension de la culture et de la pensée. D'ailleurs certains extraits du rapport Attali que vous citez sont assez significatifs :

"Évaluer les professeurs sur leur capacité à faire progresser tous les élèves": le rapport prévoit des évaluations de chaque école, rendues publiques, et une évaluation des enseignants par leurs élèves, en plus des inspections"

Je passerais sur l'évaluation des professeurs. Cela me semble difficilement applicable, mais le problème soulevé est intéressant. En revanche l'évaluation par les élèves me semble franchement douteuse ! Comment des élèves peuvent-ils juger les compétences de leur professeur ?

Bien pire : une telle conception du rapport maître-élève met l'élève dans le rôle de "l'évaluateur", et pour le coup, presque dans celui du maître : «montre-moi que tu es un bon professeur, et alors je t'écouterai ».

"Rémunération des fonctionnaires: mettre en place des primes liées à la performance collective et individuelle des agents.."

L'idée est tout à fait intéressante . Mais quid des chercheurs en philosophie (par exemple) ? Comment calculer leur performance ? Nombre d'ouvrages parus ? Popularité acquise dans leur milieu ?

Cela dit je ne me permettrai pas de rejeter tout le rapport, non seulement parce que je ne le connais pas, mais aussi parce que certains extraits me semblent intéressants.