mardi 8 mai 2007

Pourquoi la religion?


Pierre Magnard POURQUOI LA RELIGION? Paris, Armand Colin, 2006
( Compte rendu dans Esprit)
"Pierre Magnard propose, à contretemps, une apologie de la religion menée à partir du christianisme. Il propose une affirmation radicale : la religion est une, elle ne connaît pas de pluriel, elle n'existe qu'au singulier. Cette thèse implique deux corollaires principaux : une critique de l'idéal d'autonomie à partir d'une nouvelle interprétation de la modernité; l'élaboration d'une théologie oecuménique de l'Absolu, qui redonne ses droits à la métaphysique.
Considérée en sa fonction, la religion nepeut être qu'unique, puisqu'elle a en charge l'unification, partant l'accomplissement du genre humain... (p. 125). La religion n'est pas d'abord référée au Dieu qu'elle vénère, mais à l'humanité qui la porte ; sa première fonction est anthropologique. L'unicité de la religion est fondée sur l'unicité de l'humanité qu'elle promeut. Pour autant, l'auteur ne reprend pas les thèses de Feuerbach et ne fait pas de l'homme le dieu caché des religions. L'unicité de l'humanité elle-même ne peut se concevoir dans son intégrité qu'en référence à une transcendance qui relativise les différences sans les supprimer, sans les rapporter à un dénominateur commun.
Il faut une source supérieure pour que les hommes règlent leurs usages et leurs esprits.
L'unité de l'humanité est fondée sur l'unicité du Dieu, appréhendée dans la religion singulière. Cela implique, nous`" le verrons, de distinguer entre « religion » et « confession » ; cela implique également de ne plus penser l'unité dë l'humanité à partir d'elle-même, c'està-dire de critiquer l'idéal d'autonomie et de réhabiliter le paradoxe d'une hétéronomie libératrice.
Pierre Magnard n'a pas de mots trop durs pour stigmatiser le nihilisme de l'individualisme contemporain qui produit « l'homme de sable », peu à peu délié de toute relation organique avec ses semblables, crispé sur des revendications identitaires, ouvert à la mobilité et à la pression du marché, fusionné dans des pratiques grégaires, rassemblé sous des contrats politiques éphémères et formels. Cette lecture unilatérale de la vie contemporaine entend décrire l'errance spirituelle de nos sociétés, fondées sur l'oubli de la religion et l'illimitation du désir d'autonomie.
Celle-ci le rend inconditionnellement contemporain de lui-même et de ses décisions, elle s'oppose à l'hétéronomie de l'« homme universel » qui se rapporte à l'origine. Pour autant, l'auteur ne critique pas la modernité en tant que telle au nom d'une conception nostalgique ou fondamentaliste de l'origine. Il propose une autre interprétation de la modernité, en évitant le double écueil d'une autonomie activiste qui se referme sur elle-même et ne vit que du geste par lequel elle se coupe de l'origine, et d'une hétéronomie entièrement passive vis-à-vis d'une perfection passée ou d'une plénitude présente. C'est possible si l'on considère que l'homme a en charge le déplacement de l'origine, sa répétition créatrice dans le temps. L'hétéronomie fondamentale se transforme alors en processus créateur par lequel l'homme se rend digne du rapport à l'origine qui le fonde : l'origine est au-devant de l'homme, ce qui vient à lui par ses actes fondateurs réitérés. Ce sont les xve et XVIe siècles européens qui, de Nicolas de Cues à Montaigne, ont su thématiser l'invention de l'homme dans la reprise de ses gestes fondateurs (techniques, artistiques, philologiques, philosophiques, religieux) et promouvoir une hétéronomie active et libératrice. Lauteur lit aussi cette structure d'appropriation de soi par une répétition créatrice dans l'oeuvre de Kierkegaard (la Répétition, mentionnée comme schéma directeur p. 28).
La religion universelle est composée d'une multiplicité de « confessions », qui doivent toutes se reconnaître mutuellement dans les visées singulières, différenciées, d'un même absolu qui leur échappe également. L'intégration possible dans la religion sert alors de critère pour juger la signification spirituelle d'une confusion. Aucune confession. aucune doctrine, ne peut prétendre enserrer dans la positivité de son dogme ou de son discours le Dieu unique, qui se donne comme point d'altérité absolue et paradoxale. Le Dieu unique est l'absolu qui réunit les hommes mais qui se sépare d'eux et qui leur donne de se séparer, de se singulariser à l'extrême. Dès lors, à partir de quelles bases communes, dans quel langage commun les différentes confessions pourront-elles se reconnaître mutuellement ? P. Mignard rappelle à cet égard le rôle du platonisme, qui a pu donner une structure diabolique à la vie spirituelle et a permis d'exprimer le verbe spécifique de chacun des trois monothéistes. Mais le platonisme est-il suffisamment fécond pour donner son langage à la diversité universelle des confessions ? (En particulier, peut-il intégrer les confessions extrême-orientales ?) Ou bien faut-il inventer un nouveau langage commun ? Et comment concevoir une institution de cette religion universelle, capable à la fois de réaliser l'oecuménisme et de porter ses exigences devant les communautés politiques ?
Frédéric Vengeon in Esprit Mai 2007

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