vendredi 25 janvier 2008

Les formes: toujours plus méprisées, toujours plus nécessaires...


"L'égalité suggère aux hommes plusieurs penchants fort dangereux pour la liberté, et sur lesquels le législateur doit toujours avoir l'oeil ouvert. Je ne rappellerai que les principaux.Les hommes qui vivent dans les siècles démocratiques ne comprennent pas aisément l'utilité des formes ; ils ressentent un dédain instinctif pour elles. J'en ai dit ailleurs les raisons. Les formes excitent leur mépris et souvent leur haine. Comme ils n'aspirent d'ordinaire qu'à des jouissances faciles et présentes, ils s'élancent impétueusement vers l'objet de chacun de leurs désirs ; les moindres délais les désespèrent. Ce tempérament, qu'ils transportent dans la vie politique, les indispose contre les formes qui les retardent ou les arrêtent chaque jour dans quelques-uns de leurs desseins.Cet inconvénient que les hommes des démocraties trouvent aux formes est pourtant ce qui rend ces dernières si utiles à la liberté, leur principal mérite étant de servir de barrière entre le fort et le faible, le gouvernant et le gouverné, de retarder l'un et de donner à l'autre le temps de se reconnaître. Les formes sont plus nécessaires à mesure que le souverain est plus actif et plus puissant et que les particuliers deviennent plus indolents et plus débiles. Ainsi les peuples démocratiques ont naturellement plus besoin de formes que les autres peuples, et naturellement ils les respectent moins. Cela mérite une attention très sérieuse.Il n'y a rien de plus misérable que le dédain superbe de la plupart de nos contemporains pour les questions de formes ; car les plus petites questions de formes ont acquis de nos jours une importance qu'elles n'avaient point eue jusque-là. Plusieurs des plus grands intérêts de l'humanite s'y rattachent".

De la démocratie en Amérique, Tome II, livre 4, chapitre 7

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Tocqueville est vraiment surprenant. Il est la preuve indubitable que les événements contemporains ont une source qui dépasse les simples 50 dernières années comme on le croit trop souvent.

Sa langue est d'ailleurs en elle-même un excellent plaidoyer pour les formes. C'est une langue respectueuse, elle laisse ouvert le dialogue.

Anonyme a dit…

bonjour,

je ne comprends pas bien ce que Tocqueville veut dire par "les formes" ?
pouvez vous m'éclairer ?

merci pour votre blog !
nathalie 01

Lhansen-Love a dit…

Les formes, ou tout ce que les hommes ont créé, et qui les fait tenir ensemble et tenir debout.
Les institutions ("instituer" veut dire faire tenir debout)
le langage
les règles de la vie en commun
le code de la route
la politesse
la morale
la grammaire
le civisme....
Vous comprenez, Nathalie O1?

Lhansen-Love a dit…

A Jean-baptiste..
Oui sacré Tocqueville!
Même idée chez Constant: "Les formes sont les divinités tutélaires des institutuons humaines; Ce sont les formes qui nous délivrent de la barbarie"

Anonyme a dit…

oui je crois comprendre, merci pour vos éclaircissements.. on pourrait dire presque "l'urbanité" ...?ou "civilité" que je viens de vérifier dans le "Robert"?
Je pense que c'est un choix pour vous de donner des citations brutes en "pâture" intellectuelle à vos étudiants, mais pour les béotiens, des commentaires même brefs, ne seraient peut être pas superflus..
Nathalie O1 (Ain), une vieille de 45 ans.

Lhansen-Love a dit…

Excusez moi, j'ai cru que vous étiez une élève.
Posez-moi des questions si nécessaire. Mais je ne veux pas expliquer, voire édulcorer les textes. Je préfère en effet les laisser avec leur tranchant...