La morale est-elle utile à la vie sociale ?
(le sujet tombé au Capes, me dit-on , est la moralité; j'ai traité ici "la morale" et ce n'est donc pas le sujet du CAPES)
CECI N’EST PAS UN CORRIGE
(Remarque préalable : cette question pourrait faire référence à une thèse néo-darwinienne selon laquelle « la morale répond à un instinct social qui s’est révélé comme un avantage décisif pour la survie de l’espèce » Voir Yvan Quinion
Etudes matérialistes sur la morale ici :
Philosophie et politique Denis Collin)Le sujet appelle le questionnement immédiat : La morale ? : « La » morale ? Laquelle ? C’est l’article défini déterminant « la » qui me semble poser problème principalement. En effet : 1) (Evidemment) toutes les morales, dans toutes les communautés, ont une fonction sociale
.
Tout comme les religions, qui ont précisément pour fonction, entre autres, de véhiculer et d’imposer les normes utiles au maintien de la cohésion de cette communauté. (les femmes doivent procréer et prendre en charge l’éducation des enfants, ne pas commettre d’adultère, les hommes doivent protéger leur descendance, suivre leurs engagements, protéger leur communauté en allant si nécessaire à la guerre. C’est ce que les stoïciens appelaient les « convenables » c’est-à-dire les devoirs propres à chaque communauté et qui garantissent l’intégrité du groupe)
2) Cependant on ne peut réduire la morale à une utilité, quelle que soit cette utilité. Car la morale est de l’ordre du droit et non du fait. Son fondement ne peut être ni biologique ni social. La morale ne peut être qu’auto-fondée (c’est la thèse de Kant).
Seule l’autonomie du sujet fait de son action ou de son intention un événement d’ordre moral.
3) Le débat (morale déontologique/ morale téléologique) pourrait renvoyer à deux conceptions anthropologiques opposées.
Dans une société holiste, la morale a pour finalité de préserver la communauté, au détriment éventuellement de l’individu (cf la société de castes indienne, par exemple). Dans le même esprit, une morale téléologique (telos= fin) se donne pour objectif de satisfaire le plus grand nombre de personnes au moindre prix.
Dans une société « moderne », au contraire, la morale (c’est une option devenue possible) est individualiste et universaliste : il est alors parfaitement concevable que la morale prescrive un comportement susceptible de mettre en péril la cohésion sociale. Il s’agit, par exemple, de la « désobéissance civile », telle que l’ont incarnée les figures d’Antigone, Socrate ou (de façon plus modeste) H.D.Thoreau.
Réciproquement, à nos yeux, un comportement « utile » socialement ( par exemple : l’élimination des anciens (trop vieux !) par euthanasie, l’ élimination des filles à la naissance, le recyclage des organes des condamnés à mort, une mobilisation ultra-nationaliste en vue de préserver l’intégrité d’une nation, une lâche collaboration avec un ennemi), peut être moralement inadmissible.
On voit donc les limites d’une morale utilitariste. On voit bien comment la morale peut être justifiée pour protéger les intérêts d’UNE communauté. Mais dès que l’on pense aux intérêts de plusieurs communautés, ou de tous, on est obligé d’oublier… l’intérêt, pour revenir aux idées de Kant (« la morale ne peut que se fonder elle-même ») …ou de Montesquieu qui écrivait :
" Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, et au genre humain, je le regarderais comme un crime "
(Montesquieu, Pensées).
Conclusion :
Chaque morale a (bien sûr !) son utilité sociale
Mais l’utile ne peut pas constituer un fondement pour la morale, car il n’y a pas d’utile universel. S’il y en a , cela reste à prouver.
Ou encore : la morale, ce n’est pas, ce ne sera jamais, l’économie (la bonne gestion d’un patrimoine) .
Ou encore : la vertu sans l’ amour (unilatéral, désintéressé, sans souci de réciprocité) n’est que « vice glorieux et cymbale retentissante » ( Jankélévitch).