jeudi 3 avril 2008

Pourquoi les hommes haïssent la vérité


C'est une remarque de Saint Augustin dans le livre X des Confessions. Lire ce soir dans le Monde l'article de Remi Brague dont voici un extrait:

"Il y a au livre X des Confessions un passage sur lequel le jeune Heidegger a attiré l'attention, et auquel je reviens très souvent. Augustin s'y bat avec un passage de saint Jean selon lequel les hommes « haïssent la vérité ». Il se demande donc comment on peut haïr un si grand bien. Augustin répond en distinguant deux sortes de vérité : la vérité est la lumière que nous braquons sur les choses qui nous désirons connaitre, et qui nous en assure la maîtrise ; mais elle est aussi ce qui fait retour sur nous et tire au clair ce que nous préférerions laisser dans l'ombre. Alors que nous convoitons la première, nous fuyons la seconde. Si nous aimions vraiment la vérité, nous devrions vouloir aussi qu'elle fasse toute la lumière sur nous.Cette distinction me semble fournir une clef pour d'autres phénomènes. Par exemple, notre rapport à la nature : nous l'aimons comme ressource à exploiter ou comme paysage ; nous la haïssons comme ce qui nous détermine de l'intérieur et nous impose ses propres normes (ce pourquoi nous parlons avec mépris du « biologique »). Ou encore, notre rapport au temps, dans les deux directions. Nous aimons le passé comme paysage exotique pour le tourisme de l'histoire ; nous le haïssons comme ce qui nous marque et nous impose une identité particulière. Nous aimons l'avenir comme l'espace de rêves utopiequel ; nous le haïssons dans la mesure où le souci que nous devrions avoir de lui pourrait nous contraindre, dès maintenant, à prendre les mesures qui le rendront possible.Un autre passage de la même oeuvre, le fameux vol de poires (au livre II), aide à voir, sur l'exemple volontairement innocent d'une peccadille d'enfant, l'abîme de la liberté humaine : elle peut vouloir le mal pour lui-même".

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour ce lien vers cet article passionnant (comment pourrait-il en être autrement avec monsieur Rémi Brague ?) ! Savez-vous qu'une encyclique de Benoît XVI intitulée "Caritas in Veritate" (l'amour de la vérité) est prévue pour le moi de mai prochain ? La coïncidence est assez amusante !

«Par exemple, notre rapport à la nature : nous l'aimons comme ressource à exploiter ou comme paysage ; nous la haïssons comme ce qui nous détermine de l'intérieur et nous impose ses propres normes»

Oui. J'ai même bien peur que nous soyons de plus en plus insensible au paysage, incapable de le saisir. L'amour de la beauté de la nature (ainsi que du monde) et le premier pas vers une attitude respectueuse et responsable envers elle. Or de plus en plus, la nature n'est plus aimée non seulement que comme une ressource, mais également comme un endroit où se ressourcer (ce qui revient au même). La nature comme lieu zen au service de l'homme stressé.

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