jeudi 9 octobre 2008

Le spleen selon Julie (alias Rousseau)



Julie, dans la Nouvelle Héloïse, a dû renoncer à épouser celui qu'elle aimait. Mais elle se consolera, car le vrai bonheur, comme elle l'explique ici, est dans le rêve que suscite le désir, non dans la jouissance.


"Tant qu'on désire on peut se passer d'être heureux; on s'attend à le devenir: si le bonheur ne vient point, l'espoir se prolonge, et le charme de l'illusion dure autant que la passion qui le cause. Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l'inquiétude qu'il donne est une sorte de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être. Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. En effet, l'homme, avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et, pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même; rien n'embellit plus cet objet aux yeux du possesseur; on ne se figure point ce qu'on voit; l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hoirs l'Être existant par lui-même il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas"
.Jean-Jacques Rousseau,La Nouvelle Héloïse (1761), partie VI,Éd.. Flammarion
1967, pp.. 527-528.

Aucun commentaire: