L’homme le plus puissant au monde? article paru ce matin dans Ouest France
"Tout le monde le dit, on va consacrer mardi, le 4 novembre, l’homme le plus puissant du monde. Mais par les temps qui courent–économiques, politiques et militaires– on peut se demander en quoi consiste ce pouvoir? Surtout, comment s’exerce-t-il?
L’Amérique de George W. Bush s’imaginait une puissance sans limite. Aujourd’hui, elle doit reconnaître que tout pouvoir est limité, ce qui– paradoxalement– en fait la force. Pour réussir, il faut trouver des alliées pour transformer la force brute en pouvoir légitime. Autrement dit, il faut abandonner la politique de la volonté pour retrouver une politique du jugement fondée sur la capacité de voir le monde avec les yeux des autres.
Malgré ses démenties, John McCain se situe dans la continuité du parti républicain alors que Barack Obama promet “le changement”. Mais il n’en donne pas beaucoup de détails, sans doute pour ne pas prêter le flanc aux spots négatifs dont les républicains sont de passées maîtres. Pour comprendre où il voudrait amèner le pays, il faut faire un peu d’histoire.
La présidence impériale voulue par George W. Bush ne s’exprimait pas seulement sur le plan de la politique étrangère. Ses effets les plus importants se manifestaient par l’accumulation du pouvoir exécutif. Cette tendance n’était pas la foulée des attentats du 11 septembre, elle n’est pas le résultat de la fameuse “guerre contre le terrorisme”.
La théorie de cette présidence toute-puissante fut mûrie longuement par une fraction du parti républicain dirigée par Dick Cheney. Celui-ci était le directeur de cabinet de Gerald Ford, qui accédait à la présidence en 1974 à la suite de la démission de Richard Nixon, pris dans les rêts de l’affaire de Watergate. Nixon, on se souvient, imaginait que tout ce qu’ordonnait le président était de facto légal. Le Congrès, et le public, pensaient autrement. Les démocrats reprenaient le pouvoir et imposaient des limites à l’autorité présidentielle.
Depuis cette affaire, Cheney et ses alliées élaborent la thèse dite de “l’exécutive unitaire”. Il s’agit tout simplement d’une présidentialisation du gouvernement qui aura été dépossédé du pouvoir nécessaire à gèrer les affaires du peuple. Comme le président est chargé de l’exécution des lois, prétendent les tenants de cette thèse, c’est à lui d’en interpréter le contenu. Ainsi, si le Congrès vote une loi que n’approuve pas le président, celui-ci ne va pas simplement la parapher, comme le veut l’usage traditionel ; il y ajoutera une déclaration expliquant comment il la mettra en oeuvre (par exemple, en refusant d’appliquer certaines clauses). Cette théorie a pris plus de poids dans la foulée du 11 septembre lorsque le président pouvait prétendre être le seul rempart contre le terrorisme.
La pratique de l’exécutive unitaire finit par justifier les pires abus du pouvoir. On en connaît certains résultats: guerres non-déclarées, cours militaires, renditions extra-légales, interrogations frôlant la torture…Guantanamo. Un autre effet est moins visible mais plus grave: le refus des membres de l’exécutif de répondre de leurs actions (ou inactions) devant les comités du Congrès sous prétexte que celui-ci n’a pas d’autorité sur la branche exécutive. Autrement dit, le gouvernement prétend n’avoir à rendre des comptes à personne.
Or, heureusement, nous vivons toujours en démocratie ; les comptes seront rendus devant les électeurs. Ceux-ci n’éliront pas seulement un président mais renouvelleront la Chambre et un tiers du Sénat. La mince majorité démocrate gagnée en 2006 sera renforcée. À supposer qu’Obama soit élu, il ne pourra pas poursuivre la politique de la présidence unitaire répudiée par les électeurs. Il faudra qu’il gouverne avec le Congrès, qu’il sache prendre en considération sa diversité, et qu’il reconnaisse les limites de son propre pouvoir. Cela aura des conséquences sur le contenu de sa politique. Car il ne sera pas l’homme le puissant au monde. Et s’il souhaite le devenir, il faudra qu’il sache travailler avec les autres, qu’il trouve des alliés dont qui le respectent parce qu’il les respecte.
Enfin, cette histoire de la politique domestique vaut pour la politique étrangère : l’Amérique ne sera forte qu’autant qu’elle admet ses propres limites afin que sa force devient un pouvoir légitime aux yeux des autres pays dont elle ne pourra pas nier la légitimité".
"Tout le monde le dit, on va consacrer mardi, le 4 novembre, l’homme le plus puissant du monde. Mais par les temps qui courent–économiques, politiques et militaires– on peut se demander en quoi consiste ce pouvoir? Surtout, comment s’exerce-t-il?
L’Amérique de George W. Bush s’imaginait une puissance sans limite. Aujourd’hui, elle doit reconnaître que tout pouvoir est limité, ce qui– paradoxalement– en fait la force. Pour réussir, il faut trouver des alliées pour transformer la force brute en pouvoir légitime. Autrement dit, il faut abandonner la politique de la volonté pour retrouver une politique du jugement fondée sur la capacité de voir le monde avec les yeux des autres.
Malgré ses démenties, John McCain se situe dans la continuité du parti républicain alors que Barack Obama promet “le changement”. Mais il n’en donne pas beaucoup de détails, sans doute pour ne pas prêter le flanc aux spots négatifs dont les républicains sont de passées maîtres. Pour comprendre où il voudrait amèner le pays, il faut faire un peu d’histoire.
La présidence impériale voulue par George W. Bush ne s’exprimait pas seulement sur le plan de la politique étrangère. Ses effets les plus importants se manifestaient par l’accumulation du pouvoir exécutif. Cette tendance n’était pas la foulée des attentats du 11 septembre, elle n’est pas le résultat de la fameuse “guerre contre le terrorisme”.
La théorie de cette présidence toute-puissante fut mûrie longuement par une fraction du parti républicain dirigée par Dick Cheney. Celui-ci était le directeur de cabinet de Gerald Ford, qui accédait à la présidence en 1974 à la suite de la démission de Richard Nixon, pris dans les rêts de l’affaire de Watergate. Nixon, on se souvient, imaginait que tout ce qu’ordonnait le président était de facto légal. Le Congrès, et le public, pensaient autrement. Les démocrats reprenaient le pouvoir et imposaient des limites à l’autorité présidentielle.
Depuis cette affaire, Cheney et ses alliées élaborent la thèse dite de “l’exécutive unitaire”. Il s’agit tout simplement d’une présidentialisation du gouvernement qui aura été dépossédé du pouvoir nécessaire à gèrer les affaires du peuple. Comme le président est chargé de l’exécution des lois, prétendent les tenants de cette thèse, c’est à lui d’en interpréter le contenu. Ainsi, si le Congrès vote une loi que n’approuve pas le président, celui-ci ne va pas simplement la parapher, comme le veut l’usage traditionel ; il y ajoutera une déclaration expliquant comment il la mettra en oeuvre (par exemple, en refusant d’appliquer certaines clauses). Cette théorie a pris plus de poids dans la foulée du 11 septembre lorsque le président pouvait prétendre être le seul rempart contre le terrorisme.
La pratique de l’exécutive unitaire finit par justifier les pires abus du pouvoir. On en connaît certains résultats: guerres non-déclarées, cours militaires, renditions extra-légales, interrogations frôlant la torture…Guantanamo. Un autre effet est moins visible mais plus grave: le refus des membres de l’exécutif de répondre de leurs actions (ou inactions) devant les comités du Congrès sous prétexte que celui-ci n’a pas d’autorité sur la branche exécutive. Autrement dit, le gouvernement prétend n’avoir à rendre des comptes à personne.
Or, heureusement, nous vivons toujours en démocratie ; les comptes seront rendus devant les électeurs. Ceux-ci n’éliront pas seulement un président mais renouvelleront la Chambre et un tiers du Sénat. La mince majorité démocrate gagnée en 2006 sera renforcée. À supposer qu’Obama soit élu, il ne pourra pas poursuivre la politique de la présidence unitaire répudiée par les électeurs. Il faudra qu’il gouverne avec le Congrès, qu’il sache prendre en considération sa diversité, et qu’il reconnaisse les limites de son propre pouvoir. Cela aura des conséquences sur le contenu de sa politique. Car il ne sera pas l’homme le puissant au monde. Et s’il souhaite le devenir, il faudra qu’il sache travailler avec les autres, qu’il trouve des alliés dont qui le respectent parce qu’il les respecte.
Enfin, cette histoire de la politique domestique vaut pour la politique étrangère : l’Amérique ne sera forte qu’autant qu’elle admet ses propres limites afin que sa force devient un pouvoir légitime aux yeux des autres pays dont elle ne pourra pas nier la légitimité".