jeudi 1 novembre 2007

Pascal contre tous les intégrismes




Jacques Julliard : "Pascal est contre tous les intégrismes"


« Pascal est un homme qui m'a aidé à voir clair en moi-même. Je l'ai découvert à l'âge de 17 ans et il a opéré en moi une forme de conversion, pas exclusivement au sens religieux du terme, mais au sens aussi où il définit, à travers les trois ordres - chair, esprit et charité-, un ordre des priorités qui me semble tout à fait convaincant. Un jour où je parlais à mon ami Benoît Chantre du pessimisme méthodologique de Pascal, du refus de se payer de mots, je lui ai dit qu'il faudrait définir un Pascal de gauche. De là est né ce livre Le Choix de Pascal. Faire le choix de Pascal, c'est faire le choix d'une réflexion sur les données fondamentales de l'existence humaine et sur la classification des priorités. L'une des misères de l'homme, selon moi, c'est d'être incapable d'opérer une hiérarchie dans ses bonheurs et ses malheurs. Les gémissements des nantis sont insultants pour la véritable misère. Pascal passe sa vie à hiérarchiser: c'est un auteur dialectique mais, alors que la dialectique hégélienne consiste à parvenir à un état final qui abolit les états précédents, chez Pascal, le supérieur, reconnu comme tel, ne détruit jamais l'inférieur. Cette idée est essentielle. L'ordre de la charité est supérieur à l'ordre de l'esprit qui est supérieur à l'ordre de la chair, mais l'ordre de la charité ne supprime pas pour autant l'ordre de l'esprit et l'ordre de l'esprit ne supprime pas l'ordre de la chair. Pascal ne condamne jamais ce qu'il considère comme inférieur. Faire le choix de Pascal, c'est faire le choix d'une vision hiérarchisée de la société mais qui est toujours en mouvement.La volonté pascalienne d'éviter à tout prix la guerre civile peut paraître conservatrice. Mais en même temps, pour arriver à la paix, Pascal pense qu'il faut respecter la pluralité, ce que nous appellerions aujourd'hui la majorité. Implicitement, il y a donc une conception de la démocratie comme maintien de la paix sociale. C'est là que s'esquisse sa vision de l'opinion publique, dans la fameuse pensée « L'opinion est comme ici reine du monde mais la force en est le tyran. »Ce qui peut apparaître comme une consolidation de l'ordre social, une justification de la hiérarchie, est aussi une apologie de la loimajoritaire. Ne faisons pas de Pascal un précurseur de la démocratie, mais il construit quand même, en pleine période absolutiste, une philosophie de l'adhésion politique et non de la contrainte politique. Pascal substitue à la force brutale la force du nombre, la force de l'opinion publique. Ce qui suppose le rôle de l'éducation, des lumières: « Ainsi se vont les opinions, succédant du pour au contre, selon qu'on a de lumière »; c'est déjà le mot du XVIIIe siècle. Les opinionsdes gens dépendent de leur niveau d'instruction. Pascal a une pensée à lafois progressiste et pacifique.Penseur du politique, savant et croyant, Pascal ne confond pourtant jamais ces trois aspects. Autonomes chez Pascal, ces trois champs sont encore mélangés chez Dessertes. Il y a une grande actualité de Pascal alors que Dessertes n'a pas grand-chose à nous apprendre sur aujourd'hui. Pascal pense que les croyances sont libres, qu'elles ne doivent répondre qu'à la conscience et à la raison. Le religieux ne doit pas être dominé par l'ordre de la force, autrement dit Pascal est contre tous les intégrismes, toutes les religions d'État. « Il n'y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison » : la foi implique un dépassement de la raison mais, là aussi dialectique, c'est-à-dire que la foi n'abolit pas la raison. En ce sens, Pascal me semble beaucoup plus proche de saint Thomas d'Aquin que de saint Augustin: la foi ne balaie partout sur son passage, elle couronne plutôt un édifice. Les Pensées ne sont pas jansénistes. Il n'y a rien de plus conforme à l'idée thomiste selon laquelle on peut démontrer rationnellement l'existence de Dieu que la démarche de Pascal qui essaie de convaincre un libertin qu'il faut croire en Dieu... Pascal n'est ni un homme de gauche, ni un démocrate, ni un laïc, au sens moderne du terme. Il est pourtant un penseur d'une modernité inouïe. Par rapport à l'esprit de l'Antiquité et du Moyen Âge qui sont encore des pensées de la confusion des plans, la pensée de Pascal conduit à une distinction des plans. C'est cette démarche intellectuelle qui me semble profondément moderne. »


Ppropos recueillis par Juliette Cerf Magazine Littéraire Novembre 2007

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