mardi 16 octobre 2007

La nostalgie de l'absolu et les messies séculiers selon George Steiner (nous avons toujours besoin de héros)



Voici ce qu'écrivait George Steiner en 1974 à propos des "Messies séculiers", titre du chapitre :





"Comme jamais auparavant, à ce moment du XX ième siècle, nous avons faim de mythes, d'explication totale -de prophétie garantie [...]
Pourquoi, devant les preuves les plus accablantes sur les camps de concentration sur l'État policier le plus brutal jamais créé, sur le césarisme asiatique de Staline, nombre de jeunes gens les plus précieux des génération passées n'en ont pas moins continué à servir, à mourir? Si l'on veut comprendre ce genre de phénomènes, ce type de conduite, ce ne peut être qu'à la lumière d'une vision religieuse et messianique qui vous promet de patauger en enfer jusqu ' au cou, si nécessaire, parce que vous êtes sur le chemin destiné, prophétiqe, de la résurrection de l'homme sur le chemin de la justice. C'est précisément parce que le scénario millénariste de la rédemption de l'instauration du royaume de la justice, continue de captiver l'esprit humain (ayant survécu de longue date à ses prémisses théologiques)que toute expérience d'espoir enflamme l'imagination bien au-delà des réalités politiques. Mais que faut-il entendre par «expérience d'espoir»? Nous avons tous notre propre liste. Quand je pense à mes étudiants de Cambridge, en Angleterre, j'ai pour eux un calendrier des grands moments d'espoir intérieur : le printemps de Prague avant l'écrasement du régime de Dubcek par la contre-action soviétique, le gouvernement Allende au Chili, l'apparent miracle du renversement de la réaction au Portugal et en Grèce. Les faits ne sont jamais un contre-argument. Si demain matin, ouvrant notre journal, nous apprenions que le coup d'État portugais n'était qu'une supercherie, ou qu'il a été en fait financé par les sinistres forces de la droite, ou que ses auteurs ont été à leur tour renversés, le chagrin et l'amertume seraient au rendez-vous. Mais l'espoir trouverait ensuite un autre scénario parce que nous sommes en présence d'une force religieuse, théologique.Dans l'histoire du marxisme, je crois, nous reconnaissons chacun des attributs caractéristiques d'une mythologie dans toute sa dimension théologique. Nous avons la vision du prophète et les textes canoniques légués aux fidèles par le premier des apôtres. En témoignent les liens entre Marx et Engels ; l'achèvement posthume du Capital ; la publication progressive des premiers textes sacrés. Nous trouvons l'histoire d'un conflit féroce entre les héritiers orthodoxes du maître et les hérétiques, une suite ininterrompue de scissions depuis les mencheviks jusqu'à Trotski puis à Mao"[...]

La nostalgie de l'absolu 10-18

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