(A compléter avec hommesansqualités.blogspot
Et Europe et universalisme abstrait
Et Une Europe sans qualité)
L’Europe, la voie romaine
Remi Brague
Editions Critérion- Idées 1992
Spécialiste de Platon et d’Aristote, et de philosophie arabe, Rémi Brague, qui maîtrise l’hébreu, le grec et l’arabe, est professeur de philosophie arabe à l’université de Paris I
Il est question dans cet ouvrage de la culture européenne. En quoi consiste-t-elle ? Qu’est-ce qui fait sa spécificité ? Qu’est-ce que l’Europe a en propre ?
La thèse de Rémi Brague est la suivante : l’Europe s’est constituée par rapport à ce qui n’est pas elle. Si l’on peut ici parler de culture, c’est dans le sens non d’un contenu, mais d’une forme.
En règle générale, on admet que l’Europe c’est la synthèse de deux héritages : celui de la tradition juive et chrétienne, d’une part. Celui du paganisme antique de l’autre. La thèse du livre est la suivante : le propre de l’Europe provient de Rome – nous sommes d’abord romains. « L’Europe se distingue de ce qui n’est pas elle par le caractère « latin » ou « romain » de son rapport aux sources auxquelles elle puise. Rémi Brague appelle romain : « tout le monde de langue latine, y compris Descartes ».
La culture européenne, on va le voir, est une culture de la transmission, les romains sont des passeurs. Cela s’explique par le sentiment d’infériorité culturelle qui leur est propre. Ils pensent n’apporter rien de nouveau. Ou plus exactement : ils apportent l’ancien considéré comme du nouveau. Ce qui les définit en propre, c’est l’intérêt pour une culture qui n’est pas la leur, en tant que telle.
« Ce que l’on transmet, estiment-ils, on ne le tient pas de soi-même, et on ne le possède qu’à peine ».
I L’Europe , le judaïsme et l’hellénisme
La transmission s’effectue par un rapport spécifiquement romain à l’Ancien Testament. Le christianisme accepte se « secondarité » par rapport au texte des juifs. Ce n’est qu’en ce sens que l’on peut tenir le christianisme comme un des propres de l’Europe
Quant à la a transmission de la culture hellénique, elle se fait en grande partie par les livres. Ce qui est très différent de ce qui s’est passé dans la civilisation islamique. Les savants islamiques effectuaient des tris. Ils choisissaient ce qui était lié à leurs propres intérêts ou préoccupations. Au contraire, les romains transmettent. Ils transmettent tout, et ils estiment n’avoir rien inventé eux-mêmes. On peut donc définir cette démarche par le fait de s’approprier ce qui est étranger et perçu comme tel.
La situation es tout à fait différente en terre d’Islam. L’arabe, en effet, est la langue du Coran. En tant que telle elle est LA langue la plus vraie. Traduire le grec en arabe, c’est donc l’ennoblir. La culture étrangère, une fois ennoblie, a donc perdu son caractère étranger. D’ailleurs les érudits arabes n’ont pas traduit la littérature : ils n’ont traduit que ce qui leur paraissait utile.
Au contraire, les romains considèrent leur propre langue comme étant inférieure. En revanche, les langues vernaculaires (des autres pays) sont considérées comme inférieures au latin : « l’Europe a conscience d’avoir emprunté à une source qu’elle ne pouvait ni regagner ni surpasser ».
En règle générale, quand un peuple s’approprie les acquis culturels d’un autre peuple :on peut parler de « digestion culturelle ». Tandis qu’au contraire, dans le cas des romains, il s’agit d’une attitude « esthétique » : il s’agit d’un respect des formes. On conserve ce qui est étranger en tant qu’étranger , ainsi on préserve son altérité. Il ne s’agit donc pas d’appropriation au sens de digestion. Tel est le principe purement européen de ce qu’on appelle la « Renaissance ». Les sources antiques sont considérées comme inépuisables, toujours à redécouvrir.
II L’humanisme
L’humanisme est spécifiquement européen.
Parce que seule l’Europe est pleinement consciente de sa secondarité. Au contraire l’Islam supprime l’extériorité, l’altérité en tant que telle. C’est une des causes de la stagnation. Au contraire la culture européenne rejette toute idée de possession, Elle est ce qui n’est pas elle.
Mais coloniser, est-ce respecter ce qui n’est pas soi ?????
L’Europe a un rapport particulier à l’étranger. Les européens se placent eux-mêmes en position d’autocritique, ils savent se voir avec les yeux de l’autre (cf Les cannibales de Montaigne et les Lettres persanes de Montesquieu). E voir avec les yeux de l’autre est un phénomène exclusivement européen.
D’où une certaine idée de la culture, qui est propre à l’Europe. La culture ce n’est pas le retour aux racines, la préservation de la tradition . Au contraire, c’est un enrichissement de l’esprit, la culture est une activité.
Devise romaine : « le propre n’est pas nécessairement le bien » (exemples ; les romains ont fit cesser les sacrifices pratiqués par les gaulois).
La culture exige de respecter de qui a de la valeur en soi, et nous ce qui nous ressemble. La culture, c’est le fait de s’intéresser à ce qui en soi est beau, est vrai.
Ou, en d’autres termes : l’appropriation d’une source n’est féconde que si elle est désintéressée. Ainsi, on peut dire que la culture européenne est un cadre vide : de ce fait, tout le monde est invité à s’européaniser. Et d’ailleurs, l’Europe est un constant mouvement d’européanisation : « On ne peut naître européen, mais on peut travailler à le devenir ».
III L’Europe et le christianisme
L’Europe n’est pas un territoire.
Est-elle chrétienne ? Culturellement, l’Europe ne peut pas se considérer comme sa propre source, le christianisme ne suffit donc pas à la définir.
D’autant que le christianisme a des traits spécifiques :
- La séparation du temporel et du spirituel, qui préfigure la laïcité
- L’incarnation : Dieu est venu sur terre sous apparence humaine
- Absence de langue sacrée, donc pas de caractère sacré de la culture
- Le Christ se présente comme un mode singulier, unique, de vivre la vie humaine : « ce qui est rendu sacré par l’incarnation n’est autre que l’humanité même »
De là vient la diversité des cultures et des langues. Comme il n’y a pas de culture sacrée, ni de livre sacré, un respect de la chair du corps (qui va ressusciter) est possible.
Conclusion
L’Europe doit garder sa romanité.
Mais en évitant toute « muséisation » (mettre dans un musée) : auquel cas le seul intérêt du passé est d’être passé.
Il faut éviter de se considérer comme un espace en soi. Au contraire, l’Europe n’est qu’extériorité. Il ne faut donc pas que ce qui est extérieur apparaisse comme une menace. L’Europe doit préserver ce qui la définit : le souci d’universalité.
On entend dire parfois que la liberté, la démocratie, le droit à l’intégrité corporelle, ne seraient pas bons pour d’autres peuples : « Ce qui serait grave, ce serait que l’Europe considère l’Universel dont elle est porteuse (le « Grec », dont nous sommes les « Romains ») comme une particularité locale ne valant que pour elle, et qui n’a pas à s’étendre à d’autres cultures.
Remi Brague
Editions Critérion- Idées 1992
Spécialiste de Platon et d’Aristote, et de philosophie arabe, Rémi Brague, qui maîtrise l’hébreu, le grec et l’arabe, est professeur de philosophie arabe à l’université de Paris I
Il est question dans cet ouvrage de la culture européenne. En quoi consiste-t-elle ? Qu’est-ce qui fait sa spécificité ? Qu’est-ce que l’Europe a en propre ?
La thèse de Rémi Brague est la suivante : l’Europe s’est constituée par rapport à ce qui n’est pas elle. Si l’on peut ici parler de culture, c’est dans le sens non d’un contenu, mais d’une forme.
En règle générale, on admet que l’Europe c’est la synthèse de deux héritages : celui de la tradition juive et chrétienne, d’une part. Celui du paganisme antique de l’autre. La thèse du livre est la suivante : le propre de l’Europe provient de Rome – nous sommes d’abord romains. « L’Europe se distingue de ce qui n’est pas elle par le caractère « latin » ou « romain » de son rapport aux sources auxquelles elle puise. Rémi Brague appelle romain : « tout le monde de langue latine, y compris Descartes ».
La culture européenne, on va le voir, est une culture de la transmission, les romains sont des passeurs. Cela s’explique par le sentiment d’infériorité culturelle qui leur est propre. Ils pensent n’apporter rien de nouveau. Ou plus exactement : ils apportent l’ancien considéré comme du nouveau. Ce qui les définit en propre, c’est l’intérêt pour une culture qui n’est pas la leur, en tant que telle.
« Ce que l’on transmet, estiment-ils, on ne le tient pas de soi-même, et on ne le possède qu’à peine ».
I L’Europe , le judaïsme et l’hellénisme
La transmission s’effectue par un rapport spécifiquement romain à l’Ancien Testament. Le christianisme accepte se « secondarité » par rapport au texte des juifs. Ce n’est qu’en ce sens que l’on peut tenir le christianisme comme un des propres de l’Europe
Quant à la a transmission de la culture hellénique, elle se fait en grande partie par les livres. Ce qui est très différent de ce qui s’est passé dans la civilisation islamique. Les savants islamiques effectuaient des tris. Ils choisissaient ce qui était lié à leurs propres intérêts ou préoccupations. Au contraire, les romains transmettent. Ils transmettent tout, et ils estiment n’avoir rien inventé eux-mêmes. On peut donc définir cette démarche par le fait de s’approprier ce qui est étranger et perçu comme tel.
La situation es tout à fait différente en terre d’Islam. L’arabe, en effet, est la langue du Coran. En tant que telle elle est LA langue la plus vraie. Traduire le grec en arabe, c’est donc l’ennoblir. La culture étrangère, une fois ennoblie, a donc perdu son caractère étranger. D’ailleurs les érudits arabes n’ont pas traduit la littérature : ils n’ont traduit que ce qui leur paraissait utile.
Au contraire, les romains considèrent leur propre langue comme étant inférieure. En revanche, les langues vernaculaires (des autres pays) sont considérées comme inférieures au latin : « l’Europe a conscience d’avoir emprunté à une source qu’elle ne pouvait ni regagner ni surpasser ».
En règle générale, quand un peuple s’approprie les acquis culturels d’un autre peuple :on peut parler de « digestion culturelle ». Tandis qu’au contraire, dans le cas des romains, il s’agit d’une attitude « esthétique » : il s’agit d’un respect des formes. On conserve ce qui est étranger en tant qu’étranger , ainsi on préserve son altérité. Il ne s’agit donc pas d’appropriation au sens de digestion. Tel est le principe purement européen de ce qu’on appelle la « Renaissance ». Les sources antiques sont considérées comme inépuisables, toujours à redécouvrir.
II L’humanisme
L’humanisme est spécifiquement européen.
Parce que seule l’Europe est pleinement consciente de sa secondarité. Au contraire l’Islam supprime l’extériorité, l’altérité en tant que telle. C’est une des causes de la stagnation. Au contraire la culture européenne rejette toute idée de possession, Elle est ce qui n’est pas elle.
Mais coloniser, est-ce respecter ce qui n’est pas soi ?????
L’Europe a un rapport particulier à l’étranger. Les européens se placent eux-mêmes en position d’autocritique, ils savent se voir avec les yeux de l’autre (cf Les cannibales de Montaigne et les Lettres persanes de Montesquieu). E voir avec les yeux de l’autre est un phénomène exclusivement européen.
D’où une certaine idée de la culture, qui est propre à l’Europe. La culture ce n’est pas le retour aux racines, la préservation de la tradition . Au contraire, c’est un enrichissement de l’esprit, la culture est une activité.
Devise romaine : « le propre n’est pas nécessairement le bien » (exemples ; les romains ont fit cesser les sacrifices pratiqués par les gaulois).
La culture exige de respecter de qui a de la valeur en soi, et nous ce qui nous ressemble. La culture, c’est le fait de s’intéresser à ce qui en soi est beau, est vrai.
Ou, en d’autres termes : l’appropriation d’une source n’est féconde que si elle est désintéressée. Ainsi, on peut dire que la culture européenne est un cadre vide : de ce fait, tout le monde est invité à s’européaniser. Et d’ailleurs, l’Europe est un constant mouvement d’européanisation : « On ne peut naître européen, mais on peut travailler à le devenir ».
III L’Europe et le christianisme
L’Europe n’est pas un territoire.
Est-elle chrétienne ? Culturellement, l’Europe ne peut pas se considérer comme sa propre source, le christianisme ne suffit donc pas à la définir.
D’autant que le christianisme a des traits spécifiques :
- La séparation du temporel et du spirituel, qui préfigure la laïcité
- L’incarnation : Dieu est venu sur terre sous apparence humaine
- Absence de langue sacrée, donc pas de caractère sacré de la culture
- Le Christ se présente comme un mode singulier, unique, de vivre la vie humaine : « ce qui est rendu sacré par l’incarnation n’est autre que l’humanité même »
De là vient la diversité des cultures et des langues. Comme il n’y a pas de culture sacrée, ni de livre sacré, un respect de la chair du corps (qui va ressusciter) est possible.
Conclusion
L’Europe doit garder sa romanité.
Mais en évitant toute « muséisation » (mettre dans un musée) : auquel cas le seul intérêt du passé est d’être passé.
Il faut éviter de se considérer comme un espace en soi. Au contraire, l’Europe n’est qu’extériorité. Il ne faut donc pas que ce qui est extérieur apparaisse comme une menace. L’Europe doit préserver ce qui la définit : le souci d’universalité.
On entend dire parfois que la liberté, la démocratie, le droit à l’intégrité corporelle, ne seraient pas bons pour d’autres peuples : « Ce qui serait grave, ce serait que l’Europe considère l’Universel dont elle est porteuse (le « Grec », dont nous sommes les « Romains ») comme une particularité locale ne valant que pour elle, et qui n’a pas à s’étendre à d’autres cultures.
12 commentaires:
C'est vraiment passionnant !
« Mais en évitant toute « muséisation » (mettre dans un musée) : auquel cas le seul intérêt du passé est d’être passé. »
C'est très juste. Il y a peu de temps je pensais une forme de "muséophilie". On met sous verre. On préserve l'altérité, mais on détruit le dialogue. Le rapport au passé est tout à fait de cet ordre. Il est étudié, mais sous verre. L'historien ne dialogue pas au présent avec le passé, il étudie ce passé dans son "laboratoire", il est hors du monde.
Je vous cite : «ils apportent l’ancien considéré comme du nouveau». Le passé a toujours quelque chose à nous dire.
Le phénomène des "devoirs de mémoire" est en ce sens significatif. Il s'agit moins de se rappeler ce qui s'est passé pour comprendre, pour éviter de le reproduire, que de se repentir. L'acte de repentance compte plus que celui de compréhension. Or c'est l'acte de compréhension qui doit traverser les générations, pas celui de repentance ! Mais puisque nous pensons que le "passé c'est du passé", nous nous rendons incapable de réactualiser ce passé dans le présent afin qu'il nous apprenne quelque chose. Et c'est cette idée qui implique la repentance éternelle ! Puisque le passé ne m'apprend rien, est "inactualisable", je suis éternellement dans la possibilité de réitérer cet acte, et donc je suis éternellement coupable.
Finalement, la relation de l'Europe à sa culture, à son passé, serait chez Brague un dialogue avec ce passé qui sera nécessairement toujours autre. Un dialogue qui nourrit le présent. Ce n'est pas la culture d'autrui qui est digérée, c'est le dialogue entre moi et l'autre. Transmettre afin de pouvoir actualiser le dialogue avec le passé qui nourrit le présent.
Il y a vraiment beaucoup de choses dans cet article ! Merci beaucoup !
Je vous remercie de ce lien vers mon site! Je vais lire votre article tranquillement.
Bonne soirée et amitiés philosophiques.
Avec plaisir, à bientôt sur l'un de nos deux blogs.
Je vois que vous avez été émue par Tess.
Avez-vous lu Jude l'obscur de Thomas Hardy?
Bonjour, ici encore l'élève de Terminale L et son sujet de "PEUT ON ETYRE SOIS MÊME SANS AUTRUI?". Je vous demandais si celq ne vous derange pas de me donner des directions vers où aller, vers un plan, ou des textes. J'ai lu les textes sur autrui sur l'un de vos blogs. Merci beaucoup. Votre ebauche de plan sur la prise de conscience liberatrice m'avait beaucoup aidé, m'avait donne un coup de pouce. Merci encore si vous pouvez répondre à ce message dans les deux prochains jours, sinon merci quand même pour votre blog qui fait apprécier la philosophie.
je retire mon message je viens de voir votre réponse!! Merci 1000 fois!!! j'adorerais vous avoir en professeur de philosophie, la mienne arrivant à nous retirer tout enthousiasme que nous avions pour la philo audébut de l'année. Merci encore Mme Hansen Love.
Alexandra
Malheureusement non, et heureusement: cela me fait une belle perspective de lecture! Je découvre juste Hardy. Je suis totalement nulle en littérature anglaise.
Bonne soirée!
Votre synthèse du propos de Rémi Brague est bonne et je pense qu'il ne la renierait pas!
Mais peut-être ne soulignez vous pas assez le lien explicite entre la vocation universaliste de l'Europe et celle de l'Eglise Catholique?
Bonjour
Je suis étudiant en classe prépa et j'aurais voulu savoir si vous pouviez "m'inviter" afin que je puisse lire votre blog "hommesansqualites" ?
Je vous remercie (et bravo pour cette analyse !)
Bonjour
Je suis étudiant en classe prépa et j'aurais voulu savoir comment puis-je faire pour être "invité" sur le blog "hommesansqualites" (puisque vous indiquez un lien vers ce site pour compléter la fiche)?
Je vous remercie d'avance (pour votre réponse, mais aussi pour la qualités des analyses que vous nous présentez !)
Cher Etudiant,
Le blog l'homme sans qualités n'est pas de moi. A bientôt tout de même!
Oups... Et sauriez-vous comment entrer en contact avec le propriétaire du blog ?
je viens de comprendre qu'il existes des blogs fermés ( genre : ce répondeur ne prend pas de message..) Je ne sais pas omment faire pour être invité..
Je vais lancer un appel..
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