(La thèse de Regis Debray: la politique participative (et non représentative) est un leurre. la politique ne peut se passer de représentation, de formes symboliques instaurant une distance salutaire et bénéfique entre l'instance politique et la société . La politique est, à cet égard, à rapprocher du théatre) :
Rideau, de grâce!
"Le démocrate nouveau est arrivé. Lui aussi colle à la vie. Ouvert(e). Sympa. Blessé(e). Chantant les feuilles mortes à la télé ou roulant en rollers sur le macadam parisien. Blouson de cuir et santiags. Crédible parce qu'authentique. Décoiffant. Tel qu'en lui-même enfin. Le bureau donne sur la chambre. Sans hypocrisie. Traduisons en bon latin : obscène.Ob-scenus : ce qui reste d'un homme quand il ne se met plus en scène (ob : à la place, en échange de). Quand s'exhibe ce que l'on doit cacher ou éviter. Tel est le premier sens du mot, dont le second fut, conséquemment, sinistre ou de mauvais augure. Le pluriel neutre, obscena, désignait les excréments.Appelons donc obscène, sans esprit polémique et au sens étymologique, une société qui, parce qu'elle ne supporte plus la coupure scénique, confond le surmoi et le moi, le nous et le je, l'ambition collective et l'ambitieux tout court. Qui fait passer la personne de l'écrivain avant son écriture,., l'homme d'action avant son action et le musicien devant la musique. Obscène, en termes techniques, est le forum dont la dramaturgie se met à obéir à la télécratie. Ou qui passe, plus précisément, du plan large au gros plan qui vient fouiller le visage, la larme au coin de l'oeil, le baiser sur la bouche et le petit dernier - au cours d'un cérémonial officiel. Et qui fera bientôt de chaque « moment fort » de la vie publique quelque chose d'intermédiaire entre la Roue de la fortune et le Loft. ( ... )
Obscène donc,la société sportive et normative produite par la « proximité, convivialité, réactivité », qui efface des frontons notre Liberté, Égalité,Fraternité, pompeuses et désuètes majuscules. Obscène un pays qui ne décolle plus de ses lucarnes, fasciné par ses propres reflets sur un écran-miroir, Landerneau obnubilé où le débordement de la Garonne, la colère des ostréiculteurs et l'écroulement d'un hangar en région parisienne occupent vingt-cinq minutes sur trente du journal télévisé sur la chaîne publique. Une France à la fois myope et narcissique, qui ne voit presque plus rien en dehors de ses frontières, et ne se voit plus ellemême telle qu'elle est parce qu'elle a renoncé à s'éloigner de ce qu'elle est. À prendre le recul du spectateur.
La même société dite par antiphrase de spectacle, qui discrédite le spectaculaire, délégitime les secrets - et abandonne à la fois la distance et la retenue. Par quel mystère, ce paradoxe ? Par l'intolérance au clair-obscur du tout-image, au processus de l'instant et du self-service à toute initiation réglée. Par l'abandon des symboles et la passion des traces. Par la concentration sur l'organe et l'oubli de la fonction. Par le prénom généralisé et le dédain des formes impersonnelles. Comme le remarque, en fin médiologue, Pierre Murat : « À l'époque de De Gaulle-Adenauer, on annonçait pompeusement : "La France rencontre l'Allemagne". On eut encore droit, plus tard, aux titres officiels "Le président Mitterrand et le chancelier Kohl". Puis, plus personnel : "Jacques Chirac et madame Merkel" ». Ce sera demain « Nicolas et Angela ». Tyrannie de l'intimité ? Disons plutôt : servitude volontaire et douce. Il suffit d'entrer dans une librairie parisienne, au rayon « ça m'suffit » des romans domestiques, pour savoir qu'au pays de « Madame Bovary c'est moi », la Bovary est devenue de trop. Moi c'est moi, et je n'en reviens pas, dit l'écrivain du moment"
"Le démocrate nouveau est arrivé. Lui aussi colle à la vie. Ouvert(e). Sympa. Blessé(e). Chantant les feuilles mortes à la télé ou roulant en rollers sur le macadam parisien. Blouson de cuir et santiags. Crédible parce qu'authentique. Décoiffant. Tel qu'en lui-même enfin. Le bureau donne sur la chambre. Sans hypocrisie. Traduisons en bon latin : obscène.Ob-scenus : ce qui reste d'un homme quand il ne se met plus en scène (ob : à la place, en échange de). Quand s'exhibe ce que l'on doit cacher ou éviter. Tel est le premier sens du mot, dont le second fut, conséquemment, sinistre ou de mauvais augure. Le pluriel neutre, obscena, désignait les excréments.Appelons donc obscène, sans esprit polémique et au sens étymologique, une société qui, parce qu'elle ne supporte plus la coupure scénique, confond le surmoi et le moi, le nous et le je, l'ambition collective et l'ambitieux tout court. Qui fait passer la personne de l'écrivain avant son écriture,., l'homme d'action avant son action et le musicien devant la musique. Obscène, en termes techniques, est le forum dont la dramaturgie se met à obéir à la télécratie. Ou qui passe, plus précisément, du plan large au gros plan qui vient fouiller le visage, la larme au coin de l'oeil, le baiser sur la bouche et le petit dernier - au cours d'un cérémonial officiel. Et qui fera bientôt de chaque « moment fort » de la vie publique quelque chose d'intermédiaire entre la Roue de la fortune et le Loft. ( ... )
Obscène donc,la société sportive et normative produite par la « proximité, convivialité, réactivité », qui efface des frontons notre Liberté, Égalité,Fraternité, pompeuses et désuètes majuscules. Obscène un pays qui ne décolle plus de ses lucarnes, fasciné par ses propres reflets sur un écran-miroir, Landerneau obnubilé où le débordement de la Garonne, la colère des ostréiculteurs et l'écroulement d'un hangar en région parisienne occupent vingt-cinq minutes sur trente du journal télévisé sur la chaîne publique. Une France à la fois myope et narcissique, qui ne voit presque plus rien en dehors de ses frontières, et ne se voit plus ellemême telle qu'elle est parce qu'elle a renoncé à s'éloigner de ce qu'elle est. À prendre le recul du spectateur.
La même société dite par antiphrase de spectacle, qui discrédite le spectaculaire, délégitime les secrets - et abandonne à la fois la distance et la retenue. Par quel mystère, ce paradoxe ? Par l'intolérance au clair-obscur du tout-image, au processus de l'instant et du self-service à toute initiation réglée. Par l'abandon des symboles et la passion des traces. Par la concentration sur l'organe et l'oubli de la fonction. Par le prénom généralisé et le dédain des formes impersonnelles. Comme le remarque, en fin médiologue, Pierre Murat : « À l'époque de De Gaulle-Adenauer, on annonçait pompeusement : "La France rencontre l'Allemagne". On eut encore droit, plus tard, aux titres officiels "Le président Mitterrand et le chancelier Kohl". Puis, plus personnel : "Jacques Chirac et madame Merkel" ». Ce sera demain « Nicolas et Angela ». Tyrannie de l'intimité ? Disons plutôt : servitude volontaire et douce. Il suffit d'entrer dans une librairie parisienne, au rayon « ça m'suffit » des romans domestiques, pour savoir qu'au pays de « Madame Bovary c'est moi », la Bovary est devenue de trop. Moi c'est moi, et je n'en reviens pas, dit l'écrivain du moment"
Regis Debray L'obscénité démocratique.
pp 31-34 Regis Debray Flammarion 2007
pp 31-34 Regis Debray Flammarion 2007
2 commentaires:
La précision "sans polémique" est de mauvaise foi. On voit bien que dans ce texte "obscène" veut dire obscène. Ah! ces chichis d'intello! Ceci dit, Régis Debray est le premier à se précipiter chez le télécrate Guillaume Durand. Mais plus sérieusement : ce type de pensée n'est-il pas complètement dépassé? C'est toujours l'idée que l'intellectuel voit clair et que la société se trompe. Un peu facile, non?
L'intellectuel est là pour réfléchir, donc , évidemment, pour essayer de déchiffrer ce qui pour nous va de soi, ne pose pas le moindre pb (comme la volonté d'abolir la distance entre la société et l'instance politique).
Comment pourrait-on le lui reprocher? Il fait son boulot!
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