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Guerre en Irak : les dures réalités
Par Dick Howard*
"On avait pu penser, en novembre 2006, que la victoire des démocrates lors des élections de mi-mandat, suivie par la publication du rapport Baker, ancien conseiller de Bush père, annonçait un prochain retrait des forces américaines d’Irak. C’est le contraire qui s’est produit, avec l’envoi de 30,000 hommes en renfort. Seule concession aux démocrates : le commandant sur place, David Petraeus, et l’ambassadeur Ryan Crocker, vont livrer au Congrès cette semaine leur rapport militaire et politique.
Le Général Petraeus, qui s’est fait connaître pour ses succès lors de l’occupation de Mossoul en 2004, est habile et beau parleur. Il n’est pas sans reproche. Dans une tribune dans le Washington Post, six semaines avant les élections de 2004, il faisait état de “progrès tangibles” et d’un renversement de tendance ”en Irak. A-t-il effacé ce faux pas qui l’alignait sur le candidat Bush ?
Il est tout de même étrange que cette Amérique si fière de sa démocratie se fie à un militaire pour une décision d'une telle importance. George Bush justifie cette option anti-politique en disant que “cette décision sera fondée sur une évaluation froide par nos commandants militaires, pas par une réaction nerveuse des hommes politiques à Washington.
Il y a tout de même un précédent, gênant. Il s’agit du discours de Colin Powell devant l’ONU en 2003. Ce militaire expérimenté, jouissant d’une réputation impeccable, était alors le secrétaire d’Etat de George Bush. Saddam, assurait-il, détenait des armes de destruction massives qu’il n’hésiterait pas à utiliser si l’on ne le frappait pas d’un coup préventif. On connaît, hélas, la suite …
Les responsables américains ne peuvent esquiver de dures réalités À supposer que la tactique soit jugée payante, l’armée US est au bord de l’épuisement. Pour des raisons techniques. Il faudra commencer à se replier vers le mois d’avril – quitte à réintroduire la conscription militaire, ce qui ferait naître un vrai mouvement anti-guerre, comme pour le Vietnam.
Pour sa visite-surprise en Irak, Bush a évité Bagdad et choisi la province Anbar, où des unités, dégoûtés par l’extrémisme d’“Al Qaida” se sont alliés avec les militaires américains. L’avenir, du coup, ne dépendrait plus des incompétents à Bagdad, trop préoccupés par leurs inimitiés religieuses et leurs pratiques mafieuses pour créer un gouvernement stable. Et le Congrès américain n’aurait plus de prétexte réel pour refuser les 50 milliards de dollars supplémentaires demandés par la Maison Blanche.
Un autre fait manquant met en question les discours politiques : c’est la construction de l’ambassade américaine à Bagdad. Ce projet énorme (à peu près la taille de la cité du Vatican), comportera 21 bâtiments sur 42 hectares ; les 619 appartements de deux-pièces, un gymnase-piscine et des restaurants (américains) seront habités par un millier de diplomates, entourés de murs d’une épaisseur de 5 mètres. Vu le piètre état des infrastructures irakiennes, l’eau et l’électricité sont produites sur place. Le tout coûtera environ 592 milliards de dollars.
Il n’est pas nécessaire de souligner l’effet que devrait avoir aussi bien sur les Irakiens que sur leurs voisins, la construction d’un tel rempart pour les proconsuls américains dans la région. On n'érige pas une telle forteresse sans avoir l'intention d’y rester.
On peut se demander à quoi servira cette ambassade, construite avec l’intention d’agir sur un pays centralisé. Alors que les diplomates américains ne peuvent sortir de la fameuse Zone verte que sous protection armée, comment vont-ils pouvoir suivre et aider le processus de décentralisation ? On sait qu’une grande partie des fonds d’aide civile ne parvient pas à ses destinataires, faute de sûreté. Enfin, ces diplomates emmurés ne seront pas en mesure de pratiquer une diplomatie publique qui permettrait l’ouverture de communications entre les factions irakiennes.
Quoique le rapport Petraeus propose, et quelles que seront les décisions prises par le Congrès (démocrate, mais à une faible majorité), cette ambassade symbolise l’absence de politique cohérente. À moins qu’on ne revienne au conseil donné à Lyndon Johnson pendant la guerre du Vietnam par un sénateur du Vermont : il faut déclarer la victoire et partir ! "
* Professeur de philosophie politique à l’Université d’Etat de New-York, auteur de “La démocratie à l’épreuve. Chroniques américaines” (Buchet-Chastel)
Guerre en Irak : les dures réalités
Par Dick Howard*
"On avait pu penser, en novembre 2006, que la victoire des démocrates lors des élections de mi-mandat, suivie par la publication du rapport Baker, ancien conseiller de Bush père, annonçait un prochain retrait des forces américaines d’Irak. C’est le contraire qui s’est produit, avec l’envoi de 30,000 hommes en renfort. Seule concession aux démocrates : le commandant sur place, David Petraeus, et l’ambassadeur Ryan Crocker, vont livrer au Congrès cette semaine leur rapport militaire et politique.
Le Général Petraeus, qui s’est fait connaître pour ses succès lors de l’occupation de Mossoul en 2004, est habile et beau parleur. Il n’est pas sans reproche. Dans une tribune dans le Washington Post, six semaines avant les élections de 2004, il faisait état de “progrès tangibles” et d’un renversement de tendance ”en Irak. A-t-il effacé ce faux pas qui l’alignait sur le candidat Bush ?
Il est tout de même étrange que cette Amérique si fière de sa démocratie se fie à un militaire pour une décision d'une telle importance. George Bush justifie cette option anti-politique en disant que “cette décision sera fondée sur une évaluation froide par nos commandants militaires, pas par une réaction nerveuse des hommes politiques à Washington.
Il y a tout de même un précédent, gênant. Il s’agit du discours de Colin Powell devant l’ONU en 2003. Ce militaire expérimenté, jouissant d’une réputation impeccable, était alors le secrétaire d’Etat de George Bush. Saddam, assurait-il, détenait des armes de destruction massives qu’il n’hésiterait pas à utiliser si l’on ne le frappait pas d’un coup préventif. On connaît, hélas, la suite …
Les responsables américains ne peuvent esquiver de dures réalités À supposer que la tactique soit jugée payante, l’armée US est au bord de l’épuisement. Pour des raisons techniques. Il faudra commencer à se replier vers le mois d’avril – quitte à réintroduire la conscription militaire, ce qui ferait naître un vrai mouvement anti-guerre, comme pour le Vietnam.
Pour sa visite-surprise en Irak, Bush a évité Bagdad et choisi la province Anbar, où des unités, dégoûtés par l’extrémisme d’“Al Qaida” se sont alliés avec les militaires américains. L’avenir, du coup, ne dépendrait plus des incompétents à Bagdad, trop préoccupés par leurs inimitiés religieuses et leurs pratiques mafieuses pour créer un gouvernement stable. Et le Congrès américain n’aurait plus de prétexte réel pour refuser les 50 milliards de dollars supplémentaires demandés par la Maison Blanche.
Un autre fait manquant met en question les discours politiques : c’est la construction de l’ambassade américaine à Bagdad. Ce projet énorme (à peu près la taille de la cité du Vatican), comportera 21 bâtiments sur 42 hectares ; les 619 appartements de deux-pièces, un gymnase-piscine et des restaurants (américains) seront habités par un millier de diplomates, entourés de murs d’une épaisseur de 5 mètres. Vu le piètre état des infrastructures irakiennes, l’eau et l’électricité sont produites sur place. Le tout coûtera environ 592 milliards de dollars.
Il n’est pas nécessaire de souligner l’effet que devrait avoir aussi bien sur les Irakiens que sur leurs voisins, la construction d’un tel rempart pour les proconsuls américains dans la région. On n'érige pas une telle forteresse sans avoir l'intention d’y rester.
On peut se demander à quoi servira cette ambassade, construite avec l’intention d’agir sur un pays centralisé. Alors que les diplomates américains ne peuvent sortir de la fameuse Zone verte que sous protection armée, comment vont-ils pouvoir suivre et aider le processus de décentralisation ? On sait qu’une grande partie des fonds d’aide civile ne parvient pas à ses destinataires, faute de sûreté. Enfin, ces diplomates emmurés ne seront pas en mesure de pratiquer une diplomatie publique qui permettrait l’ouverture de communications entre les factions irakiennes.
Quoique le rapport Petraeus propose, et quelles que seront les décisions prises par le Congrès (démocrate, mais à une faible majorité), cette ambassade symbolise l’absence de politique cohérente. À moins qu’on ne revienne au conseil donné à Lyndon Johnson pendant la guerre du Vietnam par un sénateur du Vermont : il faut déclarer la victoire et partir ! "
* Professeur de philosophie politique à l’Université d’Etat de New-York, auteur de “La démocratie à l’épreuve. Chroniques américaines” (Buchet-Chastel)
(Article paru dans Ouest France et communiqué par mon ami Dick Howard. Merci!)
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